Décryptage de la circulaire
Exclusif : décryptage de la circulaire sur l’information des maires en matière de prévention de la radicalisation violente
Maire info publie ce matin, en exclusivité, la circulaire signée hier par le ministre de l’Intérieur et envoyée à tous les préfets. Cette circulaire, élaborée en concertation avec l’AMF, a pour objectif de fixer une nouvelle doctrine en matière d’information des maires sur d’éventuelles menaces liées à des personnes radicalisées sur le territoire de leurs communes.
On se rappelle du débat qui a eu lieu il y a quelques mois sur l’opportunité de donner l’accès au fichier des personnes radicalisées aux maires (lire Maire info du 30 mai 2018 pour un point complet sur ce débat). Le 22 mai, le président de la République affirmait qu’il lui semblait « normal » que « le préfet ait de manière systématique un dialogue avec les maires pour pouvoir échanger sur ces situations ». Ce sont les modalités de ce « dialogue » qui sont codifiées dans la circulaire signée hier, avec un double objectif : « Mieux déceler les signaux faibles de radicalisation », en précisant que parmi « les principaux capteurs de terrain » se trouvent les collectivités territoriales ; et « assurer la prise en charge la plus adaptée des individus suivis pour radicalisation », sans bien sûr compromettre les enquêtes en cours.
Il est rappelé dans le document qu’il existe déjà une convention cadre de partenariat entre l’État et l’AMF (du 19 mai 2016) qui prévoit qu’avec l’accord du procureur de la République, le préfet « peut » informer les maires des situations de radicalisation sur sa commune. Il y a lieu, explique le ministre de l’Intérieur, de « renforcer le dialogue », selon une doctrine qui s’articule autour de deux axes.
Le droit d’en connaître
Premièrement, le ministre pose le principe d’un droit d’en connaître pour le maire : celui-ci est « fondé à disposer d’une information régulièrement actualisée sur l’état de la menace terroriste sur le territoire de sa commune ». Il est bien précisé néanmoins que ce droit ne s’applique qu’aux maires « qui le souhaitent » – la précision est d’importance. Cette information pourra, selon les cas, se faire soit dans le cadre d’une réunion restreinte des Conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD/CISPD), soit de rencontres « bilatérales » entre le maire et un représentant de la préfecture. Les informations portées à la connaissance du maire, dans ce cadre, ne peuvent être que générales – comme par exemple « l’influence néfaste d’un lieu de culte » ou d’une association.
Informations nominatives
Mais les informations données aux maires peuvent aller plus loin – ce qui est nouveau. S’il reste posé que « le maire ne peut avoir un accès direct aux informations » contenues dans les fichiers S et FSPRT (Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), il devient possible de délivrer « une information nominative confidentielle » au maire, à l’initiative exclusive du préfet, et sous réserve expresse du « double accord » du chef de service de police, de gendarmerie ou de renseignement concerné, d’une part, et du procureur de la République, d’autre part. L’information ne pourra être délivrée au maire qu’après signature d’une charte de confidentialité, co-signée par le maire, le préfet et le procureur de la République.
Dans ce cadre, il sera désormais possible de donner aux maires – quelle que soit la taille de leur commune – l’identité d’un individu radicalisé et suspecté de pouvoir passer à une action violente, lorsque le préfet le juge utile. Il peut s’agir aussi bien d’un simple habitant de la commune que, a fortiori, d’une personne employée par la commune (agent, contractuel, etc.).
Autre point nouveau : les maires se verront désormais garantir un « retour » sur les signalements qu’ils effectuent. Dans un sens, ils seront incités par les préfets à transmettre « sans délai » toute information qu’ils détiennent sur un individu radicalisé (suite à un signalement dont les maires auraient eu connaissance). Pour ce faire, les préfets doivent rapidement désigner un « interlocuteur de proximité » et le faire connaître aux maires. En retour, « par principe », les maires seront informés des suites données à ce signalement. Si par exemple l’individu, à la suite du signalement, est pris en charge par les services de renseignements, le maire en sera informé, « sans que la nature ni les modalités du suivi ne lui soient communiquées ».
Seule restriction : ces retours d’informations ne pourront être faits que dans les communes « ayant installé un groupe de travail restreint du CLSP/CISPD ».
Enfin, même si le maire n’est pas à l’origine du signalement, les préfets pourront dans certaines situations « informer personnellement le maire » en délivrant des informations nominatives. Par exemple dans les cas de radicalisation d’un employé de la commune, ou encore sur les risques associés « au subventionnement d’une association, au fonctionnement d’un commerce, ou à la mise à disposition de locaux par la collectivité ».
Si le préfet demande au maire d’agir (par exemple en refusant une subvention à une association à la suite d’un signalement), « celui-ci s’engage à ne révéler ni la nature ni l’origine de l’information dont il dispose », sauf éventuellement aux membres du groupe restreint du CLSPD/CISPD.
Tout manquement aux clauses de confidentialité conduirait à « l’interruption de l’échange d’informations ».
Le ministre de l’Intérieur demande enfin aux préfets de le tenir informé de la mise en œuvre de ces instructions sous trois mois.
Franck Lemarc